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Sony Labou Tansi, le poète

© Christophe Laurentin

© Christophe Laurentin

Il y a vingt ans disparaissait le grand écrivain congolais, Sony Labou Tansi. L’association Ecritures en partage créée à l’initiative de Monique Blin lui rend hommage, en organisant une lecture-spectacle à la Librairie-galerie Congo que dirige Sylvain Mpili.

Grand nom de la littérature et du théâtre africains, poète aussi, Sony Labou Tansi est une référence dans la création contemporaine. Fortement engagé politiquement il dénonce la dictature et la torture, la corruption et le culte de la personnalité, écrit la révolte. Il obtient plusieurs Prix : le Grand Prix de l’Afrique Noire pour son roman L’anté-peuple publié en 1983, le Prix Francophonie de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques pour l’ensemble de son oeuvre et le Prix Ibsen, décerné par le Syndicat de la critique dramatique, pour sa pièce Antoine m’a vendu son destin.

Deux textes, lus par Jean-Lambert Wild, directeur du Théâtre de l’Union – Centre Dramatique National du Limousin, et Criss Niangouna, acteur, s’entrelacent avec force au cours de la soirée : Je, soussigné cardiaque publié en 1981, et une interview de l’auteur par Bernard Magnier en 2005, publiée dans Paroles inédites. Le choix des textes et le montage sont signés de François Rancillac, directeur du Théâtre de l’Aquarium. Les lectures ont été suivies d’une discussion, modérée par Jean-Pierre Han, rédacteur en chef des Lettres Françaises et de Frictions.

Les mots de ce Pasolini africain, comme le nomme Jean-Lambert Wild, frappent fort : Je, soussigné cardiaque est le tête à tête entre deux hommes, enseignant et directeur, dont l’un dépend hiérarchiquement de l’autre et qui poussent la provocation à l’extrême : « – Je commande, vous obéirez. – Je ne vous obéirai pas. ..» « Les hommes de mon calibre n’ont pas de marche arrière… Je suis impossible à mettre en conserve » ou encore « Tout dans ce monde m’appartient, les idées, les nations… » Puis l’enseignant se heurte, à l’hôpital, au certificat médical qu’on ne veut pas lui donner et la situation vire à l’absurde. Enfin il vient remettre ce papier au directeur, mais celui-ci fait dire qu’il n’est pas là… « Je suis venu vous tuer, pour me mettre au monde… »

Les Paroles inédites sont passionnantes car l’homme est présent et partage ses réflexions  sur l’art, le théâtre et la vie : « Aucun art ne se conçoit sans effronterie, c’est un acte subversif… L’art est ce nouveau nouveau monde ». A la question : « Pourquoi écrivez-vous ? » Sony Labou Tansi répond : « Parce que mes entrailles et ma respiration… » et si on lui demande ses sources littéraires, il dit : « la rue et la mémoire » Il écrit, raconte des histoires, pratique un théâtre de résistance à Brazzaville avec son Roccado Zulu Théâtre et qualifie « d’ouvriers du rêve » ceux qui font le théâtre. Il évoque sa relation à la langue française et fait le constat que la communication ne crée que des solitudes. Quand il parle de poésie, il ne s’agit ni de diction ni de syntaxe, mais des idées cachées derrière et de l’invention de la langue.

Bernard Magnier qui interviewe Sony souligne dans son œuvre le rôle de la femme en tant que décideur. Et l’écrivain de regretter : « On ne paie pas les femmes qui élèvent des enfants… ! » revendiquant le fait d’être touche-à-tout : « C’est pour ça que je me suis engagé en politique, c’est nous tous qui arrangeons le monde, c’est le rôle du vivant. Je suis concerné par tout se qui se passe dans ce monde, parce que je suis vivant » dit-il.

Dans son engagement politique il aurait voulu « vendre l’armée et développer l’agriculture » et il s’est investi dans une association contre le désœuvrement des jeunes. Pour lui « les actes, c’est s’organiser. » Et quand on l’interroge sur sa responsabilité en tant qu’écrivain il répond en tant qu’homme : « Nous devons tous ajouter du monde au monde par notre exercice d’imagination. » Il cite Antonin Artaud : « Nous ne sommes pas encore au monde, la raison de vivre n’est pas encore trouvée. Le rêve est notre premier pas pour ajouter un peu de grâce en ce monde » et dans sa déclaration d’optimisme dit : « La vie a une telle saveur, une telle force… On ne peut pas maitriser la vie, c’est une explosion… L’essentiel ? La valeur fondamentale de ta vie, de ma vie, de la vie, de la vie de l’autre. » Une belle générosité, la force du verbe, des valeurs, la création, tels sont les univers qu’habitaient Sony Labou Tansi qui dénonçait aussi dans son œuvre la misère et la déshumanisation. Et dans Ici commence Ici, manuscrit de poésies resté inédit pendant quarante ans, Sony dit : « Maintenant mes frères, nous montons par la route que vous connaissez peupler le sang des marigots. Nous montons inlassablement castrant les étoiles pour tuer le néant. »

Lors de l’échange qui a suivi la lecture, Monique Blin a parlé de sa rencontre avec l’écrivain, à Brazzaville, évoquant sa personnalité frappante. Il fut invité plusieurs fois au Festival des Francophonies de Limoges qu’elle dirigeait, véritable lieu de la rencontre et de la discussion. Elle l’a accompagné et soutenu, fait connaître son travail théâtral et confirme qu’il voyait très loin, qu’il y avait quelque chose de prémonitoire dans son œuvre et qu’il a marqué de nombreux artistes. Il avait une envie d’écrire permanente et écrivait pour sa troupe de théâtre, invitait des metteurs en scène permettant ainsi aux acteurs de confronter les techniques et de s’en emparer : Pierre Vial, Daniel Mesguich, Michel Rostain et Jean-Pierre Klein mort en vol dans l’attentat de Ténéré, s’y sont rendus.

Cette soirée hommage a aussi fait entendre un magnifique poème intitulé Mais… Parler : « Les mots me charment, me font signe et me demandent de trouver du travail, sous ma plume. Les mots croisent les mains et s’asseyent …» Visionnaire et humain, deux mots clés qui résument bien Sony Labou Tansi, l’homme et l’artiste.

Brigitte Rémer

 A l’initiative de Monique Blin, en partenariat avec le Théâtre de l’Union Centre Dramatique National du Limousin, la SACD, le Théâtre du Mantois La Nacelle Scène Conventionnée, et la Librairie-galerie Congo, 23 rue Vaneau, 75007 – Métro Saint-François-Xavier – e-mail : marie-alfred.ngoma@lagaleriecongo.com tél : 01 40 62 72 83 – Ecritures en partage – e-mail : ecrituresenpartage@yahoo.fr

Bibliographie pour le théâtre : Conscience de tracteur, N.E.A.-CLE (1979) – La parenthèse de sang et Je soussigné cardiaque, Ed. Hatier-Monde Noir – La rue des mouches, Revue Equateur n°1 (1986) – Moi, veuve de l’empire, Ed. Avant-Scène Théâtre n°815 (1982) – La résurrection rouge et blanche de Roméo et Juliette, Acteurs (1990) – Le coup de vieux (coécrit avec Caya Makhélé, R.F.I.) Présence Africaine – Antoine m’a vendu son destin, Collection Scènes sur Scènes, Ed. Acoria (1997). Publié aux Editions Lansman (Belgique) : Qui a mangé Madame d’Avoine Bergotha ? (1989), réédition 1995,Une chouette petite vie bien osée (1992), Qu’ils le disent… qu’elles le beuglent (1995) – Une vie en arbre et chars… bonds (1995)- Monologues d’or et noces d’argent (1996).